La réforme du divorce par consentement mutuel, souvent annoncée, plusieurs fois repoussée, a finalement été mise en place le 1er janvier 2017. Elle permet un divorce « sans juge », par le biais d’une convention par acte sous seing privé d’avocats, enregistrée par un notaire [1].
Cette réforme a suscité un grand nombre de réactions et alors qu’elle entre dans sa deuxième année d’application, il est intéressant d’en tirer un premier bilan quant à sa mise en place et ses impacts sur les professionnels du droit concernés, à savoir les avocats, les notaires et les juges aux affaires familiales.
Le Village de la justice a réalisé ce retour d’expérience sous forme de « regards croisés » au travers des réponses des professionnels suivants :
Côté avocats : Léa Smila, Avocat à la Cour et au Barreau de Paris, et Leslie Bordignon, Avocate au Barreau de Mâcon.
Côté notaire : Vincent Chauveau, Notaire à Nantes.
Côté magistrat : Laurent Desgouis, Juge aux affaires familiales près le TGI de Grenoble.
Sur le nombre de divorces, et l’impact de la réforme en terme de charge de travail.
La réforme n’a pas impacté de façon significative le nombre de divorces par consentement mutuel. Les avocats interrogés en ont déjà traité entre 20 et 30, c’est à dire autant qu’avant.
En tant que notaire, Vincent Chauveau témoigne du fait qu’il a homologué en majeure partie les conventions des clients dont il a suivi la liquidation, puisque « un tiers des actes de dépôt de clients inconnus par notre étude ». En tout cas « cela n’a pas engorgé notre service droit de la famille ».
Laurent Desgouis ne pense pas que cette réforme représente pour les Juges aux Affaires Familiales (JAF) un gain de temps. Et pour cause : avant l’entrée en vigueur de la réforme, le temps que pouvait consacrer un JAF au traitement des divorces par consentement mutuel était très limité par rapport à celui qu’il doit consacrer aux divorces contentieux.
Dans un Tribunal de Grande Instance de la taille de celui de Grenoble, deux JAF consacraient, en moyenne, une journée par mois au traitement des divorces par consentement mutuel (une demi-journée pour la préparation des dossiers et une demi-journée d’audience, pour trente dossiers environ) contre 5 jours par mois, chacun, aux divorces contentieux.
Pour lui, si l’on ne peut dès lors raisonnablement parler d’un gain de temps pour les magistrats, la réforme représente en revanche un réel gain de temps pour les greffières et greffiers, antérieurement affectés à ce type de procédure.
A l’inverse, l’explosion du nombre de contentieux post-divorce (par consentement mutuel), qui pouvait être redoutée, n’a pas (encore) eu lieu. Mais comme le tempère Laurent Desgouis, « la réforme est récente » et d’autre part « les outils informatiques mis à notre disposition ne nous permettent pas d’identifier la nature de la décision de divorce (par consentement mutuel ou contentieux) dont la saisine, après-divorce, entend opérer une modification. »
Sur les avantages et les inconvénients du nouveau divorce par consentement mutuel.
Pour Léa Smila, ce nouveau divorce est un avantage pour les jeunes couples sans enfants, pour lesquels il est particulièrement adapté, et qui ont « une forte envie de passer rapidement à autre chose, et n’ont pas l’envie de se rendre dans un Tribunal ni même de rencontrer un juge. Ils préfèrent une procédure moins solennelle. Le nouveau divorce par consentement mutuel leur offre une procédure rapide - n’étant pas propriétaire d’un bien immobilier, il n’y a pas lieu à liquidation - ils ont donc la possibilité de finaliser un divorce en un mois, voire un mois et demi contre minimum quatre mois auparavant ».
Cependant, Léa Smila insiste sur le fait que finaliser la procédure rapidement n’est pas toujours bon.
Leslie Bordignon quant à elle, souligne l’effet positif de ce divorce sur les rapports entre confrères, qui échangent d’avantage. Cela crée une réelle collaboration et d’un contrôle réciproque, afin que l’acte soit le plus complet possible.
Pour autant, elle regrette le passage devant le Juge, qui permettait de définitivement valider le travail des avocats.
Poursuivant cette idée, Léa Smila déplore que le Code civil ne prévoit explicitement l’audience devant le Juge pour les divorces comportant « un élément d’extranéité » [2]. Il n’est selon elle « pas possible, à de très rares exceptions, de conseiller à un client de nationalité étrangère de divorcer à l’amiable de peur que son divorce ne soit pas reconnu dans son pays d’origine voire pire que la convention ne puisse pas y être exécutée. »
La problématique de l’extranéité est également soulevée par Laurent Desgouis, pour qui les époux dans de tels cas ne peuvent prétendre au bénéfice de la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel, alors même qu’ils seraient parfaitement d’accord sur le principe et les effets du divorce. Ces derniers doivent ainsi nécessairement saisir un juge aux affaires familiales qui statuera de manière classique.
Autre problème soulevé : la demande d’audition par le Juge aux affaires familiales par un enfant implique obligatoirement une homologation du divorce par ce Juge. Dès lors, le risque est grand, d’après Leslie Bordignon, que certains souhaitent biaiser la loi et que l’audition de l’enfant soit « contrainte » pour pouvoir passer devant le Juge.
Laurent Desgouis le souligne également : « Cette disposition semble faire supporter à l’enfant la responsabilité d’un retour à la procédure judiciaire. Elle interroge à nouveau sur la place et la portée de la parole de l’enfant, donnée dans le cadre des procédures de divorce, hors-divorce et après-divorce. »
Vincent Chauveau, en tant que notaire estime que le recours à un ou deux avocats devrait rester optionnel. Pour lui, "Il ne faudrait pas que cette volonté de simplification finisse par constituer un frein économique au recours au divorce."
Sur la responsabilité des professionnels impliqués dans ce nouveau divorce.
Les deux consœurs ont la même analyse du problème : l’idée d’une responsabilité plus importante est à relativiser !
Leslie Bordignon confesse cependant son naturel peu stressée sur ce sujet, même si lors d’une formation sur ce nouveau divorce, elle et ses confrères ont été alertés d’un risque accru. Sur les dossiers déjà traités, seul un lui a semblé être « à risque » du fait, une nouvelle fois d’un élément d’extranéité.
Léa Smila est dans le même état d’esprit. Et pour ces dossiers à risque, elle insiste auprès de ses clients pour qu’ils en aient bien conscience.
Quoiqu’il en soit, Leslie Bordignon déplore qu’une simple ratification par un juge sans convocation des époux à une audience ne soit pas prévue. Ce serait selon elle une amélioration à apporter.
Laurent Desgouis confirme que cette absence de contrôle judiciaire pourrait être dommageable concernant notamment les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Pour lui, l’action « pédagogique » du juge aux affaires familiales était en l’espèce, prégnante. Il lui appartenait de renvoyer les parties à formuler d’autres propositions, plus proches de l’intérêt de l’enfant, avant d’homologuer leur convention.
Avec la nouvelle procédure, le rôle des avocats est en la matière renforcé : il leur appartient de sensibiliser leur client à l’intérêt supérieur de l’enfant et manifester une vigilance accrue sur ce point.
Pour Léa Smila, c’est le délai de 15 jours de réflexion imposé aux époux qui n’a pas de sens : « Il me semble que si l’on fait confiance à notre profession pour nous confier quasi entièrement la charge des dossiers de divorce par consentement mutuel, il est également possible de penser que nous avons suffisamment informé notre client de l’enjeu du divorce, de ses conséquences et qu’il a eu assez de temps en amont, entre les allers retours lors de la rédaction de la convention pour réfléchir à sa procédure. »
Si les avocats sont donc assez sereins, Vincent Chauveau partage aussi cet état d’esprit : « Notre métier de juriste nous pousse à être attentif. Quand le notaire intervient dans la liquidation, le travail se fait de concert avec les avocats . Nous contrôlons la présence de toutes les pièces pour l’acte de dépôt de la convention pour laquelle nous avons aussi participé au tout début avec notre liquidation. ».
Sur les nouveaux rapports entre professionnels induits par la réforme du divorce par consentement mutuel.
Pour tous, les rapports sont positifs.
Vincent Chauveau le souligne : « Opposer notaire et avocats n’est pas l’objet du contentieux. Notaire et avocats sont présents dans le dossier pour trouver une issue amiable au divorce. Les notaires et les avocats sont des partenaires historiques dans les divorces par consentement mutuel."
Les avocates interrogées partagent le même constat. « Je travaille en très bonne entente avec les notaires qui m’apportent très souvent des conseils intéressants notamment lorsqu’il y a des liquidations », nous confirme Léa Smila.
Avis partagé par Leslie Bordignon, « Je suis ravie que les notaires nous relisent et vérifient que nous n’avons rien oublié. Eux même engagent leur responsabilité en enregistrant une convention. » Elle y met cependant un bémol : « qu’ils ne fassent pas de zèle en venant rajouter des mentions qui ne sont pas prévues par la loi. Dans ce cas, je me tourne vers un autre notaire. »
Finalement, la réforme du consentement mutuel n’a a priori pas bouleversé le quotidien des professionnels intervenant en matière de divorce. Ceci s’explique en partie par le fait qu’en matière de divorce, le plus chronophage pour les avocats, magistrats et notaires, reste le divorce contentieux. Et de façon unanime, ces derniers estiment qu’il aurait été préférable de réformer cette procédure-là en premier lieu.
Malheureusement, l’une des pistes proposées par le projet de loi dit de "réforme de modernisation de la justice du 21e siècle" est de supprimer l’audience de conciliation devant le juge aux affaires familiales saisie d’une requête en divorce contentieux, et ce n’est pas forcément la bonne réponse attendue par ces professionnels. Car comme le précise Laurent Desgouis, "la suppression de cette phase procédurale est susceptible de générer des conflits ultérieurs."
Cette réforme du divorce et la volonté du législateur d’en simplifier la procédure entraîneront-elles à terme une intervention réduite voire inexistante du juge ?
Notes :
[1] N.D.L.R : Deux exceptions sont prévues cependant par l’article 229-2 du Code civil à savoir 1) Si le mineur, informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge, demande à être auditionné par le juge ou 2) Si l’un des époux se trouve placé sous l’un des régimes des majeurs protégés, par le biais d’un acte sous seing privé d’avocats, chacun ayant obligatoirement le sien, déposé au rang des minutes d’un notaire.
[2] Nationalité étrangère de l’un des époux, mariage célébré à l’étranger, domicile habituel de l’un des époux en dehors du territoire national par exemple.
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