Des initiatives sont lancées pour changer les mentalités et les lois discriminatoires à l'égard des enfants nés hors mariage et de leurs mères.
Au Maroc, les enfants nés de père inconnu ou hors mariage sont peut-être les éléments les plus vulnérables de la société, car le non-enregistrement de leur naissance les rend invisibles. Outre le déshonneur dû aux relations sexuelles en dehors du mariage - ce qui est interdit par la loi -, les mères célibataires doivent soutenir leurs enfants contre les normes sociales qui en font des parias. Sous la pression écrasante des préjugés, beaucoup d'entre-elles finissent par les abandonner. Mais, aujourd'hui, le pays commence, semble-t-il, à prendre des mesures pour les protéger, elles et leurs enfants.
Selon les données publiées par l'Unicef, 6% des naissances n'ont pas été enregistrées au Maroc entre 2010 et 2016. Les enfants sans père sont privés de leurs droits fondamentaux. Ils ne peuvent être scolarisés légalement ni accéder à des soins de santé. Une fois adultes, ils n'ont pas le droit de voter, de voyager à l'étranger, ou de travailler. Traités comme des exclus, ils sont condamnés à vivre en marge de la société et doivent souvent se contenter d'emplois précaires.
Leurs mères n'ont pas un sort beaucoup plus enviable, si l'on en juge par ce passage d'une tribune libre publiée sur le site Morocco World News : "Selon le code familial marocain, une mère célibataire doit assumer seule les obligations parentales, alors que le père biologique est dispensé de s'occuper de son propre enfant." Le traitement infligé aux mères célibataires par la société leur rend la garde des enfants encore plus compliquée. Ostracisées par leur entourage, elles sont souvent contraintes de quitter leur famille et ont des difficultés à trouver un emploi stable.
Face à cette situation, la Ligue marocaine pour la protection de l'enfance (LMPE) a créé dans les grands villes du pays des centres d'hébergement destinés à prendre en charge des enfants abandonnés et à fournir un soutien social et psychologique ainsi qu'une formation professionnelle aux mères célibataires en difficulté. Ces centres peuvent aussi accueillir temporairement des enfants pour soulager le quotidien des mères qui travaillent dans l'espoir de construire un foyer pour elles et leurs enfants.
La justice concourt elle aussi à améliorer le sort des mères célibataires. Ainsi, le tribunal de la ville de Souk-El-Arba, dans le nord-ouest du pays, a attribué à l'une d'elles la propriété du livret de famille (sur décision judiciaire rendue le 20 novembre 2017), un document officiel qui rassemble les informations d'état civil de tous les membres de la famille, y compris els actes de naissance des enfants et des parents. Au Maroc, ce droit est en principe exclusivement réservé aux maris. La propriété de ce document est cruciale pour les mères célibataires, car elle leur permet d'établir l'identité légale de leurs enfants.
Au niveau gouvernemental, la Ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, Bassima Hakkaoui, plaide pour que l'Etat fournisse aux enfants abandonnés tous les services auxquels les autres enfants ont droit. Elle préconise ( selon les propos tenus le 18 décembre 2017, lors de la séance hebdomadaire des questions orales au gouvernement) de les inscrire à l'état civil et de recourir à des tests d'ADN pour identifier leurs pères dans l'espoir que l'établissement d'un lien biologique contribue à la création d'un lien légal. Bien évidemment, pour que ces mesures poussent les pères à assumer leur responsabilité parentale, le code familial marocain doit être amendé de façon à reconnaître la légitimité des enfants conçus hors mariage.
Aussi mineurs soient-ils, ces progrès sont très encourageants*, car ils jettent les bases de la protection sociale et juridique des enfants nés de pères inconnus et des mères célibataires au Maroc.
* "L'inscription à l'état civil, un droit constitutionnel : je suis inscrit donc j'existe", c'est le slogan de la campagne nationale pour l'inscription de tous les enfants aux registres de l'état civil lancée le 15 janvier par le gouvernement marocain.
Fatima Mohie-Eldin
Courrier International - n° 1421 du 25 au 31 janvier 2018
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